Les « Innamorati »

Lorsqu’il décore la chapelle Saint-Pierre de Villefranche-sur-Mer, Jean Cocteau peint sur ses murs des personnages vêtus de costumes traditionnels méditerranéens : les jeunes hommes portent le bonnet à poche des pêcheurs locaux et les jeunes femmes la capeline, large chapeau de paille. Peu de temps après, il reprend ces personnages, en couple cette fois-ci, sur les murs de la salle des mariages de Menton : ses fameux amoureux sont nés.

Quelques années plus tard, en 1961, il découvre dans les cartons de son ami Picasso, qui réside alors à Cannes, un dessin singulier qui ressemble à un pastel. Il s’agit en fait d’une technique différente, mettant en œuvre des crayons à la cire sur un papier à dessin coloré et au grain prononcé, dont le rendu lui rappelle « un velours multicolore d’aile de papillon ». Séduit, Cocteau emprunte cette technique à son ami pour mettre en scène ses personnages dans une série de 21 dessins qu’il baptise du nom que l’on donne aux couples d’amoureux dans la Commedia dell’arte, les « Innamorati ». Ces dessins présentent une suite de variations sur le thème des scènes burlesques de la vie amoureuse d’un couple à la « bêtise animale », dans le décor d’un port typique du littoral azuréen.

« J’ai prié Picasso de me retrouver le pastel que j’avais tant admiré l’autre jour et qui résultait d’une superposition des Caran d’Ache que nous employons toujours mais très difficiles à reconnaître sous cette astuce. […] J’ai fini par comprendre que cette apparence de pastel venait d’une superposition très appuyée des crayons de couleurs sur un fond sombre (soit papier noir soit encre de Chine). Il me rappelle que ces crayons étaient de la cire et se superposaient sans se mélanger formant en quelque sorte des glacis et en outre qu’ils n’exigeaient pas qu’on les fixe. […] Revenu au Cap j’ai fait l’essai de cette méthode et mis en pratique un de mes axiomes : une œuvre commence à devenir intéressante lorsqu’on la rate et qu’elle semble perdue. C’est alors qu’on la sauve. »