Jean Cocteau
Le Dormeur à la soucoupe volante
1954
Huile sur toile
Collection musée Jean Cocteau — collection historique
N° inv. 66.23
Cette énigmatique toile représente en gros plan un visage masculin incliné, éclairé de teintes rougeâtres, les yeux fermés, le crâne ceint de ce qui semble être des bandages. En arrière-plan, dans un ciel nocturne qui recouvre une mer d’encre, un objet circulaire lumineux, explicitement désigné par Jean Cocteau comme une soucoupe volante, prend son envol dans une étrange lueur verte.
Jean Cocteau termine cette toile le 26 septembre 1952. Quelques mois plus tôt, un événement insolite relaté par plusieurs quotidiens français avait éveillé sa curiosité : dans la nuit du 30 mai, deux témoins auraient observé dans le ciel alsacien « un disque de couleur blanche venant à très grande vitesse depuis la Forêt Noire dans une trajectoire horizontale en direction de l’Ouest [...] Le disque était suivi d’une queue aux couleurs de l’arc en ciel, comme des gouttes d’eau soulevées par le passage rapide d’une roue de voiture. »
Le 2 juin, c’est à Malaga, dans le sud de l’Espagne, et en plein jour, qu’un phénomène aérien non expliqué est aperçu. Il n’en fallait pas plus pour exciter la curiosité du poète, qui échafaude des théories dont son journal se fait l’écho : « Il est probable que les soucoupes signalées partout à l’heure actuelle ne sont qu’une, la même, qui a perdu sa formation et se demande avec angoisse comment la rejoindre. Si je devine juste, les créatures qu’elle abrite doivent vivre un drame terrible et circuler à une vitesse vertigineuse d’un point à l’autre de notre ciel, s’approchant peu de notre globe et fuyant comme des flèches dès qu’elles se sentent observées. »
Les observations d’OVNI (réelles ou supposées) se multiplient au cours des années 1950 et culminent en une véritable « vague » à l’automne 1954, à laquelle l’inquiétude grandissante suscitée par les tensions internationales dans le contexte de la guerre froide, mais aussi la fascination du grand public devant les débuts de la conquête spatiale ne sont sans doute pas étrangers. Cocteau, lui, signe en novembre un article pour le tout jeune hebdomadaire Jours de France, « Voir une soucoupe volante me stupéfierait moins que d’apprendre que ces engins n’existent pas », dans lequel il développe des conjectures sur la nature du phénomène qui relèvent sans doute plus de l’imagination poétique que de la rigueur scientifique...
Au cours de cette décennie, les motifs ufologiques se multiplient dans dans l’oeuvre graphique de Jean Cocteau, essentiellement sous la forme de soucoupes ou de « cigares volants », mais également de « martiens » à l’aspect volontairement comique. Mais c’est sans doute dans La Conquête de l’Inconnu, une immense bâche murale réalisée sur commande pour l’exposition scientifique internationale Terre et Cosmos en 1958, que l’artiste expose le mieux sa vision du phénomène : on y voit l’une de ces soucoupes stéréotypées côtoyant un ballet céleste d’astronautes, de satellites, de stations spatiales représentés de manière plus réaliste, mais aussi la figure mythologique d’Icare. Ainsi, pour Cocteau, tous ces sujets sont traités sur un pied d’égalité, « sans l’ombre d’esprit critique », comme les différents aspects d’une même inspiration qui excite l’imagination du poète : « L’inconnu est une mer "interdite à nos sondes", écrit-il. La science, la philosophie, l’occultisme s’y baignent, pataugent au bord. Les artistes construisent un navire. »
Liens externes :
Article sur Jean Cocteau ufologue sur le blog Humanités spatiales
L’article de Jean Cocteau pour Jours de France sur le site Jean Cocteau unique et multiple